Penone sous X(ray)s ou les limites de la technologie, 2012

L’artiste italien Giuseppe Penone ‘’décortique’’ des arbres depuis 1969 (répéter la forêt ou encore Cèdre de Versailles). Il procède en éliminant couche après couche les cernes de croissance jusqu’à retrouver l’aspect qu’avait l’arbre alors qu’il était encore arbrisseau.
La mise à nu d’un fragment archéologique révélant un autre temps de vie, en somme. Un double fossilisé de lui-même inscrit en son sein. Un film passé à l’envers.
Cette allégorie anthropomorphe de l’arbre en figure d’écorché, Penone y parvient en pratiquant la taille directe. Faisant siens les outils de l’artisan, il cisèle, rabote inlassablement la matière. Des semaines, parfois des mois sont nécessaires pour parvenir à rembobiner le temps.

Je hais les hôpitaux et plus généralement tout ce qui est susceptible d’alimenter mon hypocondrie. Et voici que durant deux années j’ai nomadisé mon atelier dans les milieux hospitaliers. En quête de nouveaux procédés de création, mes recherches m’ont amené à exploiter le potentiel artistique des nouvelles technologies médicales.
Dans le cadre de mes expérimentations laborantines, je n’ai pas résisté à la tentation de passer dans un scanner médical de simples pièces de bois, brutes ou manufacturées.

En ouvrant une fenêtre dans l’arbre, le rayon X en a dénudé le cœur pour nous restituer la vision de l’arbrisseau vivant et fragile au sein de la masse inerte, colonne vertébrale indélébile, résiduelle.
En retrouvant la trace de l’arbre d’origine à un âge déterminé, en renvoyant à un état primitif de la matière, le scanner médical a exaucé ici l’un des fantasmes de la science moderne, en prenant la fonction, l’espace d’un instant numérisé, de machine à remonter le temps.
Ainsi la technologie m’a permis de parvenir au même résultat que Penone en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire.
Ainsi la technologie m’a fait la délicate économie d’un lent et ingrat travail de rabotage.
Ainsi la technologie a montré ses limites.

Pour s’en convaincre, il suffit de confronter ma production à celle du plasticien italien.
Face à l’imparable charge poétique de ses arbres décortiqués comme des poupées russes, mon tirage sur papier glacé se révèle anecdotique.
Face à l’attirance tactile et sensuelle de ses cœurs ligneux mis à nus, mon scanner sous verre affiche la froideur hygiénique d’un service de gastro-entérologie.
Face à l’intemporalité matérielle et esthétique de ses écorcés, mon essai numérique apparaît déjà comme daté, témoin d’une technologie bientôt obsolète.

Penone sous X(ou les limites de la technologie) in Corps en images, 2013
Presses Universitaires de Nancy- Éditions universitaires de Lorraine ISBN:978-2-8143-0150-4

Merci au Centre Hospitalier de Bourgoin-Jallieu et en particulier à Nicolas Escot et à l’équipe de manipulatrices de scanographie.
 Penone sous X(rays) #2 (positif), 2012
Scanographie médicale, photo, montage
Tirage fine art sur papier Canson, 40x30cm
Penone sous X(rays) #2 (positif), 2012
Scanographie médicale, photo, montage
Tirage fine art sur papier Canson, 40x30cm

 Penone sous X(rays) #3 (négatif), 2012
Scanographie médicale, photo, montage
Tirage fine art sur papier Canson, 40x30cm
Penone sous X(rays) #3 (négatif), 2012
Scanographie médicale, photo, montage
Tirage fine art sur papier Canson, 40x30cm